Sonnet, Charles CROS, Le Collier de Griffes, 1908.


Cros, Charles (1842-1888), inventeur et poète français qui mourut dans l’indifférence, mais dont l’œuvre fut saluée par les surréalistes.

Né à Fabrezan (Aude) d’un père professeur, il s’installa avec sa famille à Paris en 1844. Le jeune Charles ne fréquenta ni l’école ni le lycée : c’est son père, aidé de quelques amis, qui se chargea de son éducation, encyclopédique et anarchique. Bachelier en 1858, il travailla à l’Institut des sourds-muets où il étudia la voix humaine. En 1867, il présenta à l’Exposition universelle un télégraphe automatique. En 1868, introduit dans les milieux littéraires par sa maîtresse Nina de Villard, il fréquenta les jeunes poètes du Parnasse, et collabora à des revues, telle l’Artiste. Brancardier pendant la Commune de Paris (1871), il hébergea Rimbaud chez lui et fréquenta le cercle des Zutistes. Après un voyage en Italie, il publia une Théorie mécanique de la perception (1872), un grand recueil de poèmes, le Coffret de santal (1873), et le Fleuve (1875) illustré par des eaux-fortes de Manet : il était lié avec plusieurs impressionnistes. En 1875, la publication des Dixains réalistes lui valut l’hostilité d’Anatole France. L’année suivante, il mit au point la photographie des couleurs et inventa le principe du phonographe. En 1878, il se maria avec Marie Hjardemaal, dont il eut deux fils, et fréquenta les Hydropathes. Toujours partagé entre la science et la littérature, il fonda, en 1883, un nouveau cercle des Zutistes. Huysmans le cite dans À rebours. À partir de 1886, il sombra dans l’alcoolisme et la misère. En 1888, il publia son dernier ouvrage, la Vision du grand canal royal des Deux-Mers. André Breton l’appela l’«!inventeur perpétuel!». Intéressé autant par les langues orientales que par les sciences physiques et mécaniques, fantaisiste, spécialiste du monologue cocasse, il fut également un poète de l’absurde et de la solitude que louèrent aussi bien Verlaine que les surréalistes.


 
Moi je vis la vie à côté,

Pleurant alors que c'est la fête.

Les gens disent : "Comme il est bête ! "

En somme, je suis mal coté.
 

J'allume le feu dans l'été,

Dans l'usine je suis poète ;

Pour les pitres je fais la quête.

Qu'importe ! J'aime la beauté.
 

Beauté des pays et des femmes,

Beauté des vers, beauté des flammes,

Beauté du bien, beauté du mal.
 

J'ai trop étudié les choses ;

Le temps marche d'un pas normal :

Des roses, des roses, des roses !
 


 

De quoi s'agit-il ?
 

C'est le témoignage du poète de son échec dans la vie sociale, il semble à rebours du sens commun et cherche la communion avec l'universel.
 
 

De qui s'agit-il ?
 

Témoignage de l'auteur, reconnu par personne ni comme inventeur ni comme poète. Affirmation et revendication active du MOI. "je" associés à des verbes d'état.

"Les gens", "les pitres", "comme il est bête" : avis des observateurs : il parle aussi de lui avec une focalisation externe. Ce sont des opposants médisants, qui critiquent, déprécient le poète. 1er tercet : contenant poétique avec une dominante féminine Þ sensibilité Þ rejet par les autres.
 
 

Quand ?
 

Il se situe dans une perspective ascendante, la chaleur, le zénith. Il est en décalage avec le temps. Il revendique le Carpe Diem, profite de la vie, approfondissement immédiat de l'instant présent. Temps des verbes : présent et passé composé (répercussion du passé sur le présent : constat d'échec.
 
 

Où ?
 

A côté. Dans l'été (espace extérieur) ¹ dans l'usine (espace intérieur). Il joue sur sa marginalité. Rudesse du monde industriel ¹ finesse de l'esprit. Recherche d'une élévation.
 
 

Structure, composition, forme ?
 

Sonnet : forme fixe : 2 quatrains (rimes embrassées), 2 tercets (rimes suivies et croisées.

Structure binaire : entre ce qui et ce qui est rejeté. Dominance du [e] muet : mise en relief des éléments qui s'affrontent.
 
 

Identification :
 

Genre : sonnet classique.

Enonciation : l'auteur dit "je".

Type : argumentatif

Tonalité : Lyrisme, pathétisme, ironie.
 
 

I) La présentation d'une vie morne et bancale.
 

Opposition beauté/usine. Cros est à contre courant ; c'est un opposant au minéral, à la ville, au cartésien et préfère la poésie, l'humain et l'animal.
 

Personnification du temps (v.13) : assimilation du temps à un élément terrestre alors que le poète cherche le céleste.
 
 

Anaphore + énumération de beauté (v.9-10-11) qui est une mise en relief des goûts du poète
 
 

Versification : rimes riches [e] [ ] : harmonie imitative du braiment ; importance du [e] muet qui met en évidence une scansion (scander) hachée Þ artificialité.

Assonance en [a] : harmonie suggestive du temps qui passe, martèlement ; [m] : douceur.
 
 

Dominante de juxtaposition : binarité du poème.

Ch. lex. modernité (usine, fête, registres familiers) : montre l'insensibilité du monde moderne (monde minéral). Il déprécie l'homme à l'état d'animal.
 
 

II) L'ironie du choix du statut du poète.
 

Une vision aigrie de son statut.

Le choix de l'esthétique (beauté, femmes, roses) comme moyen d'élévation (pathétisme, expression du spleen, solution à ce spleen, et ironie) :

Ä distance par rapport à lui-même : élévation.

Personnification de la géographie terrestre : communion poète/pays.
 
 

Diérèse "étudier" (v.12) : insistance.
 
 

Ch. lex. chaleur (feu, flamme, femme, été) : il recherche une ascendance.

Ch lex. de l'anticonventionnalisme : il est en marge de la société.